Mondial 1986 : Quand la Danish Dynamite déchaîna les passions

Lorsqu’on pense au Mondial 86, beaucoup de faits nous viennent à l’esprit : le match France-Brésil d’une qualité de jeu incroyable, l’excellent parcours de la Belgique qui aura longtemps été un point de repère pour la génération belge actuelle, le Maroc qui a été le premier pays africain à passer le premier tour d’une Coupe du monde mais surtout la magistrale performance de Maradona en quarts de finale face aux Anglais. Entre toutes ces péripéties, il y en a une que l’on oublie peut-être souvent. C’est celle d’une équipe virevoltante, au talent offensif indéniable qui secoua le monde du ballon rond cette année-là. Lors de ce mondial, un vent de fraîcheur viendra secouer les hauteurs mexicaines. Il aura été provoqué par la « Danish Dynamite », l’équipe du Danemark. Retour aux sources.

Le beau jeu ou le résultat ? Aujourd’hui, la question subsiste et les débats font toujours rage entre les apôtres du « joga bonito » et les partisans du pragmatisme au service de la victoire. Dans les années 80, la question ne se posait pas forcément pour le Danemark. Hormis trois médailles d’argent, une médaille de bronze aux JO et un coup d’éclat lors de l’Euro 1964 en décrochant la quatrième place, la sélection des « Rouges et Blancs » n’aura pas véritablement brillé jusqu’alors. Pourtant, durant cette décennie, même si elle ne gagnera rien, elle enthousiasmera les foules tant sur qu’en dehors des terrains. Qu’importe la fin, du moment qu’on y met la manière.

Pour l’heure, à l’aube de cette belle décennie, les Danois n’y pensent pas, même dans leurs rêves les plus fous. En 1978, le football se professionnalise dans le pays et déjà, quelques joueurs s’exportent et s’imposent à l’étranger : entre Søren Lerby et Frank Arnesen partis très jeune à l’Ajax Amsterdam, Preben Elkjaer qui fait déjà le bonheur du club belge de Lokeren et, en point d’orgue, Allan Simonsen, Ballon d’Or 1977, attaquant vedette du Borussia Mönchengladbach, la sélection pourrait alors avoir fière allure.

Malgré tout, les zouailles du sélectionneur de l’époque, Kurt Nielsen, ne prennent pas la scène internationale très au sérieux. Pourtant, en parallèle du professionnalisme, un événement va tout changer : la fédération danoise de football signe un sponsoring avec la très célèbre marque de bière danoise, Carlsberg. Il n’intervient pas au hasard car la fédération est consciente du potentiel footballistique que le pays détient et elle ne veut pas rater le coche. De là découlera d’ailleurs la signature en juillet 1979 de Sepp Piontek, un entraîneur allemand grâce auquel tout va changer.

“Allez-y, je vous écoute” | Crédit image : Soccer Nostalgia (image provenant du n°102 du magazine Onze datant de juin 1984)

Des débuts chaotiques

C’est parti ! La révolution est en marche … Enfin, pas pour tout de suite car Piontek doit surmonter un obstacle de taille. Lui qui a déjà côtoyé quelques joueurs danois en Bundesliga se surprend à faire connaissance avec la mentalité danoise. Ce qu’il va découvrir le fera tomber de haut. Lui qui est passé par la sélection de Haïti sous l’ère du dictateur Baby Doc, connu pour avoir diriger son pays dans la terreur et l’oppression, avoue n’avoir rien connu de tel. « Je pensais que je ne pouvais rien faire avec cette équipe. Je les avais vus 6 fois seulement. Cela représentait 3 jours à l’année. Il y avait des limites à ce que je pouvais accomplir. Comment pouvais-je les faire travailler en équipe ? », confia-t-il dans le film Og Det Var Danmark.

« Au lieu de s’échauffer, les joueurs parlaient de leurs familles respectives. Certains rapportaient du réglisse et du fromage du Danemark que les expatriés pouvaient rapporter dans leur club. C’était ça la préparation pour le match. Tout cela devait changer ! » (Source : Danish Dynamite: The Story of Football’s Greatest Cult Team)

Sepp Piontek, sélectionneur de l’équipe du Danemark de 1979 à 1990

C’est donc un travail de titan qui attend l’ancien entraîneur du Werder Brême. Un véritable choc des cultures pour ces deux pays pourtant si proches géographiquement parlant. Là où Piontek veut imposer une certaine rigueur et de la discipline, il se frotte alors à la cool attitude et à la nonchalance danoise. Les premières années sont infructueuses. Piontek doit prendre ses marques dans un pays qu’il ne connaît qu’assez peu, se faire respecter par les joueurs tout en ne cherchant pas à en demander trop. « Il a compris qu’être Allemand dans le sens le plus strict du terme ne fonctionnerait jamais au Danemark. », révèle le commentateur télé Svend Gehrs dans Danish Dynamite: The Story of Football’s Greatest Cult Team.

Ce n’est qu’en 1981 que le travail commence à payer quand la sélection gagnera 8 matchs sur les 9 disputés cette année-là avec, notamment, une victoire de prestige 3 buts à 1 face à l’Italie, quelques mois avant qu’elle ne gagne le Mondial 82. Un déclic car même si le Danemark ne passe pas le cap des qualifications pour la compétition, il présente déjà une bonne tête d’outsider pour les années à venir.

Les Quatre Fantastiques étaient danois …
De gauche à droite : Frank Arnesen, Søren Lerby, Allan Simonsen et Preben Elkjaer. | Crédit image : Pinterest.fr

Les héritiers du Totaalvoetbal

La machine danoise est enfin lancée. Notre cher Sepp peut laisser libre cours à ses idées pour permettre à Simonsen et consorts d’exprimer leur plein potentiel. Après une campagne de qualification brillante pour l’Euro 84 où il termine devant l’Angleterre, le Danemark peut alors laisser éclater son talent aux yeux du Vieux Continent. Dans un groupe composé de la France, qui joue à domicile, de la Yougoslavie et de la Belgique, ils réussissent à terminer deuxième derrière les Bleus, futur vainqueur de la compétition.

En demi-finales, face à l’Espagne, le match est intense. Søren Lerby ouvrira le score dès la 7e minute pour les Danois. La seconde période sera notamment une succession d’attaque-défense pour les deux équipes. C’est d’ailleurs à la 67e minute qu’Antonio Maceda égalisera du côté espagnol. 1-1 au bout du temps réglementaire puis après prolongations. Malheureusement, les tirs aux buts sonneront le glas des protégés de Piontek suite au raté de Preben Elkjaer …

« Je n’étais pas du tout nerveux. J’avais tenté six penalties cette année-là dans mon club et je les avais tous réussis donc j’étais sûr d’y arriver. » (Source : le film Og Det Var Danmark)

Preben Elkjaer, à propos de son raté face à l’Espagne en demi-finale de l’Euro 84

Un revers qui pourrait en déstabiliser plus d’un. Pas la sélection danoise. Le spectacle proposé durant la compétition aura été étincelant et le surnom « Danish Dynamite » commencera à se répandre comme une traînée de poudre dans tout le continent. Plus que leur jeu, c’est surtout une image positive que renvoient les joueurs et qui passionnera les foules. Des gars à la fois simples et attachants, qui ont le sens de la fête et qui ne se prennent pas au sérieux. C’était ça aussi le Danemark de l’époque. Et sur le terrain, quel festival ! Malgré des séquences de jeu où l’équipe pouvait se montrer naïve, notamment défensivement, elle faisait surtout preuve d’audace, parfois presque d’arrogance mais elle avait aussi une tendance à jouer sans ballon et à presser l’adversaire qui n’avait peut-être aucun équivalent à l’époque.

Certains diront même que la « Danish Dynamite » n’était rien d’autre qu’une version accélérée de l’équipe des Pays-Bas des seventies. Tous les indicateurs étaient là pour parler d’une sorte de Totaalvoetbal (ou « Football total ») sauf que cette fois-ci, peu d’équipes pouvaient se targuer d’avoir en son sein un tel groupe de dribbleurs fous et de joueurs créatifs capables de mettre à mal n’importe quel adversaire. Søren Lerby, Frank Arnesen, Jesper Olsen, Allan Simonsen, Preben Elkjaer, Jan Molby ou encore Michael Laudrup, tout jeune à l’époque. Ces noms-là suffisaient à instiller le plaisir en chacun des supporters venus les voir.

Tiens ! D’ailleurs, parlons-en des supporters. Toujours en nombre pour soutenir les siens, ils feront partie intégrante de cette aventure exaltante. Surnommés les « Roligans » (la contraction de rolig, doux en danois, et hooligan), ils se construiront une réputation de joyeux fanfarons, toujours prêts à propager la bonne humeur là où ils passent. Tous les ingrédients sont là pour éclater à la face du monde car cette fois-ci, c’est le Mondial 86 au Mexique qui se profile à l’horizon.

Et la “Danish Dynamite” ne ratera pas la mire. En terminant premiers de leur groupe devant l’Union Soviétique (en gagnant à domicile dans un de leurs matchs les plus aboutis), les Danois se présentent avec une bonne tête de trouble-fête. Placés dans un groupe extrêmement relevé composé de l’Allemagne de l’Ouest, de l’Ecosse et de l’Uruguay, ils se doivent d’être à la hauteur pour une compétition qui s’annoncera difficile au vu des matchs en altitude qui se profileront sur les terres mexicaines.

Qui dit beau jeu, dit beau maillot aussi ! | Crédit image : Hummel.net

Un premier tour incroyable …

L’heure est venue. 31 mai 1986. La grande messe du football peut enfin commencer. Pour la « Danish Dynamite », c’est le moment de confirmer ce qu’ils ont montré jusqu’alors. « Au Mexique, nous allons attaquer, comme nous l’avons toujours fait », promet Piontek. Même Michael Laudrup en ira de son petit mot en affirmant haut et fort que le Danemark est la « réponse européenne au Brésil ». Pour les observateurs, cela ne fait aucun doute : les Danois sont dans la short list des candidats européens au titre. Les voyants sont au vert et les hostilités vont immédiatement le prouver.

Premier match : Ecosse-Danemark. Une rencontre plutôt indécise qui se terminera sur le score étriqué de 0-1 avec un but de l’inévitable Elkjaer à la 57e minute. Une entrée en compétition rassurante et qui n’augure que du bon pour la suite. Et le festival arrivera 4 jours après. Danemark-Uruguay. Deux styles opposés. Là où les Scandinaves imposent leur vitesse et leur virtuosité, les Sud-Américains, menés par Enzo Francescoli, se démarquent par leur jeu rugueux et tactique. On se dit que ce ne sera pas de tout repos. Il n’en sera rien.

Un véritable tourbillon soufflera ce jour-là à l’Estadio Neza 86. Réduite à 10 dès la 19e minute, l’Uruguay ne pourra que constater la supériorité des Danois tant les coéquipiers de Laudrup auront donné le ton dès le coup d’envoi. Un triplé de Preben Elkjaer et des buts de Søren Lerby, Michael Laudrup et Jesper Olsen scelleront le sort de la Celeste. Le pénalty de Francescoli n’y changera rien. 6-1. Le score est sans appel. On se croit alors à rêver à un parcours incroyable pour la « Danish Dynamite ». Les deux premiers matchs le confirment. Le troisième va définitivement laisser place à tous les espoirs.

Face à l’Allemagne de l’Ouest, le Danemark fait face ni plus ni moins qu’au vice-champion du monde en titre. Une montagne à gravir avant de se frotter à la suite de la compétition. Pourtant, se sachant qualifiée, la sélection scandinave aurait pu lever le pied. Une victoire ou un nul et elle fera face à l’Espagne en 1/8e de finale. Une défaite et ce sera le Maroc, un adversaire peut-être plus abordable sur le papier. Qu’importe pour les Danois qui se sentaient capables de l’impossible. Piontek va dans ce sens et décide de faire all-in en faisant très peu tourner son équipe. Bingo ! 2-0 pour le Danemark avec des buts de Jesper Olsen et de John Eriksen. Ce sera l’Espagne au tour suivant, deux ans après le revers de l’Euro 84.

… Puis patatras

Malgré ce parcours sans-faute, les têtes cogitent un peu. Le milieu de terrain Frank Arnesen sera expulsé face à la RFA suite à une grossière faute sur le milieu de terrain allemand Lothar Matthäus. Cette suspension pourrait être préjudiciable pour les Scandinaves mais sur le moment, tous les espoirs sont permis. 18 juin. Estadio Corregidora à Querétaro. Le Danemark a les faveurs des pronostics. L’Espagne, pourtant mené par des joueurs de talent dont la star du Real Madrid, Emilio Butragueño, ne se présente pas sous son meilleur jour. Pourtant, contrairement aux autres équipes du tournoi, la sélection ibère ne craint pas son adversaire du jour car elle a déjà brillé face à lui par le passé. C’est même un regain de motivation qui l’anime ce jour-là.

Malgré cela, tout commence bien pour les protégés de Sepp. 33e minute de jeu. Faute dans la surface sur Klaus Berggreen et Jesper Olsen expédie le pénalty au fond des filets. 1-0. On se dit que tout se passe bien pour le moment. Le match est rythmé mais les occasions sont surtout du côté des Danois. Quand soudain, l’impensable se produit. Sur une relance anodine du gardien danois Lars Høgh, Jesper Olsen, alors qu’il mettait son équipe sur les bons rails quelques minutes plus tôt, remet le ballon dans l’axe pour son gardien. Erreur fatale ! Butragueño sent le coup et surgit pour tromper Høgh à raz-de-terre. 1-1 et l’Espagne rentre aux vestiaires avec de la confiance.

« Mais Jesper, Jesper, Jesper, c’est létal ! » (Source : YouTube à 4:08)

Svend Gehrs, à propos de la passe manquée de Jesper Olsen pour le but espagnol

Peu avant l’heure de jeu, les Ibères inscrivent un but supplémentaire, toujours par l’intermédiaire de Butragueño. A ce moment-là, la bande à Laudrup commence à paniquer, se met à attaquer à tout-va et délaisse peu à peu sa défense. La suite devient alors insoutenable. Deux buts supplémentaires de Butragueño et un but d’Andoni Goikoetxea stoppent le parcours de la « Danish Dynamite ». 5-1. Le score est lourd mais assez intrigant après la démonstration du premier tour. Même si le mystère reste entier, beaucoup d’explications entourent cette débâcle.

La première est la gestion tactique de Piontek suite au deuxième but espagnol. En faisant tapis dès l’heure de jeu, alors que le Danemark tenait encore le coup, on se risquait à voir des contres-attaques ou des récupérations hautes suite à des pertes de balle, ce qui allait logiquement laisser beaucoup d’espace en défense. Ensuite, le jeu ultra offensif de l’équipe avait peut-être laissé des traces et le fait de jouer au Mexique à des altitudes élevées pouvait aller dans ce sens. A en juger par le talent individuel des joueurs et le jeu déployé par l’équipe, cela laisse un goût d’inachevé tant elle aurait pu tutoyer des sommets plus élevés. Hormis cela, il y avait éventuellement un sentiment du devoir accompli pour les « Rouges et Blancs ». Après une si brillante qualification, l’état d’esprit avait un peu changé.

« Cette attitude typiquement danoise commençait à s’immiscer quand les joueurs pensaient : ‘Oh, et bien nous sommes allés loin, nous avons brillé donc personne ne peut nous blâmer.’. A la fin, quelque chose a manqué dans leur état d’esprit. Quelque chose qui leur ferait dire que ‘nous pouvons donc nous devons !’. Peut-être que ça n’a marché comme je l’espérais. » (Source : Tynd Luft, un ouvrage de Joakim Jakobsen qui retrace l’épopée de 86)

Sepp Piontek, pour qui son équipe aurait pu aller plus loin

Cauchemar se dit “Butragueño” en danois … | Crédit image : MundoDeportivo.com

Et la suite ?

Une déception pour certains, un émerveillement pour d’autres. Le Danemark a laissé une trace incroyable lors de cette campagne mondiale. Même si on l’évoque peu souvent, surtout quand un certain « Pibe de Oro » restera dans les mémoires cette année-là après un doublé magistral face aux Anglais, la « Danish Dynamite » est parvenue à montrer ce dont elle était capable. Fruit d’un long travail mené par un visionnaire allemand, son style de jeu avant-gardiste et tourné résolument vers l’attaque à outrance préfigurait déjà les standards actuels et aura fait rêver les idéalistes du beau jeu. Quant aux invocateurs du réalisme implacable, ils ont dû apprécier la suite.

Après 86, la “Danish Dynamite” éteindra la mèche petit à petit. Sepp Piontek finira son aventure danoise en 1990 suite à des suspicions de comptes bancaires au Liechtenstein et 2 ans après, la sélection réalisera l’exploit de gagner l’Euro 92 à la surprise générale. Un braquage incroyable et un pragmatisme à toute épreuve. Au pays, la question subsiste encore et toujours. Danemark 86, losers magnifiques au jeu flamboyant, ou Danemark 92, winners laborieux à l’abnégation sans faille ? Je vous laisse juge !

Crédit image :

Old School Panini – Mexico 86

Rachid Karbiche

2 réflexions sur « Mondial 1986 : Quand la Danish Dynamite déchaîna les passions »

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