Mondial 1982 : L’Algérie bouleverse le monde du football

Avant 1982, l’Afrique n’aura pas véritablement brillé en phase finale de Coupe du monde. Ce n’est que lors du Mondial 78 que la Tunisie deviendra la première nation africaine à remporter une victoire. Ce sera face au Mexique sur le score de 3-1. Pourtant, 4 ans plus tard, une autre nation du continent fera parler d’elle. Un voisin de la Tunisie : l’Algérie. Pour de bonnes raisons mais aussi pour d’autres plus injustes et qui bouleverseront la face du football mondial. Retour sur la Coupe du monde 82, une compétition pas comme les autres.

25 juin 1982. Stade El Molinón à Gijón en Espagne. Groupe 2 du Mondial 82. RFA-Autriche. Il est environ 19h quand l’arbitre écossais Bob Valentine siffle la fin de la rencontre. Une sorte de parodie de football qui laisse les 22 000 spectateurs du stade sans voix. Les 2 équipes se qualifient pour le second tour de la compétition. Hormis les principaux acteurs du match, personne n’accepte le fait accompli. En effet, une autre équipe aurait dû poursuivre son chemin dans ce Mondial au détriment de l’une des deux autres : l’Algérie. A la fois honorable et tragique, cette disqualification a fait naître toutes les controverses possibles et inimaginables.

Pour l’heure, ce Mondial 82 aura été incroyable, dans tous les sens du terme. Magnifique par le jeu, surprenant par son déroulement, révoltant pour des faits de jeu honteux. Entre les matchs fabuleux Brésil-Italie ou France-RFA, l’intervention lunaire du cheikh koweïtien Fahad al-Ahmed al-Jaber al-Sabah pour annuler un but de la France pourtant valable, l’attentat de Harald Schumacher sur Patrick Battiston lors de la fameuse nuit de Séville, il y en a eu pour tous les goûts. Au milieu de tout ça, l’Algérie n’était même pas prévu au programme. On s’attendait donc à une élimination sans histoire …

Lakhdar Belloumi, le Monsieur “passe aveugle”. | Crédit image : KanFootballClub.com

Une génération prometteuse

Qualifiés après un quatrième tour préliminaire face au Nigéria, les Fennecs sortent de deux belles Coupes d’Afrique des Nations en finissant respectivement finalistes en 1980 et demi-finalistes en 1982. La génération émergente de la sélection s’affirme aussi avec un mélange de technique et d’audace, à l’image de Rabah Madjer (et de sa fameuse “Madjer” qu’il inventera quelques années plus tard), Lakhdar Belloumi (considéré comme le créateur de la “passe aveugle”) et Salah Assad (connu pour son “ghorraf”, la cuillère en arabe, un dribble qui rappelle la virgule). Pour le reste de l’équipe, c’est un alliage de solidité (Ali Fergani et surtout Nordine Kourichi, qui est passé par le LOSC) et d’expérience (Mustapha Dahleb, l’ex-grand buteur du PSG notamment). Une belle équipe sur le papier mais sans aucune expérience face au gratin mondial.

Le groupe dans lequel est tombée la sélection algérienne ne présage pas que du bon. Entre l’Autriche et ses deux vedettes, Walter Schachner et Hans Krankl, la RFA, champion d’Europe en titre, et le Chili, qui reste une nation sud-américaine donc potentiellement dangereuse, les Fennecs font figure de petit poucet au vu de leur passif inexistant dans la compétition. Pour le premier match, c’est le plus gros qui sera au rendez-vous : la RFA. Pas un cadeau pour une première ! Du côté des Allemands, on tourne cette entrée en matière à la rigolade. Pour eux, ce ne sera qu’une formalité.

« Nous dédierons notre septième but à nos femmes et le huitième à nos chiens. » (Source : Eurosport)

Paul Breitner, le milieu de terrain fanfaron de la RFA

Jupp Derwall, le sélectionneur allemand, promet même de prendre le premier train pour Munich en cas de défaite. Un excès de confiance tellement criant que les Algériens se méfiaient malgré tout. “Un joueur disait même qu’il jouerait contre nous avec un cigare à la bouche. Certains d’entre nous pensaient que c’était un piège psychologique de leur part, qu’ils disaient juste tout ça pour que l’on pense qu’ils ne nous prenaient pas au sérieux mais on n’y croyait pas vraiment, confiait le défenseur Chaabane Merzekane au quotidien anglais The Guardian. Après tout, qui pouvait imaginer que l’équipe d’Allemagne ne préparait pas un match de Coupe du monde avec minutie ?“.

L’honneur d’un pays en jeu

Pour les Algériens, le match devient une question d’honneur et de fierté. Même si on sait désormais que ces propos dégradants des Allemands cachaient, en réalité, une ambiance délétère dans leur groupe et une négligence évidente, les Verts veulent faire bonne figure, et ce, pour une raison précise. L’année 82 marque les 20 ans de l’indépendance algérienne. Le mouvement de résistance de l’Algérie, le FLN (Front de Libération Nationale), créera en 1958 une équipe de football qui voyagera à travers le monde pour promouvoir la lutte pour la liberté. Jusqu’en 1962 et pour plus de 90 matchs, le “Onze de l’Indépendance” montrera ses talents et diffusera son message dans tout l’Afrique du Nord, en Asie et en Europe de l’Est. Les pays qui les accueilleront iront même à l’encontre des avertissements de la FIFA en soutien à cette équipe révolutionnaire.

La Une de “l’Equipe” daté du 15 avril 1958. | Crédit image : FranceTVSport.fr

Parmi ses représentants, certains jouaient pour l’équipe de France et étaient pressentis pour jouer le Mondial 58 aux côtés des Just Fontaine, Raymond Kopa ou Roger Piantoni. La soudaine disparition de ces joueurs était donc censée porter un coup à la France colonialiste et à la vieillissante IVe République. C’est alors que Mustapha Zitouni, Abdelaziz Ben Tifour mais surtout Rachid Mekhloufi, qui sera entraîneur adjoint de l’Algérie en 82, embarquent pour un voyage vers l’inconnu avec le maillot clandestin de leur pays sur les épaules. C’est donc cette source d’inspiration qui motive les troupes de Mahieddine Khalef, le sélectionneur de l’époque.

« Nos parents étaient à la maison mais nous considérions que nous les avions auprès de nous sur le banc de touche. Ces gars du FLN étaient comme nos deuxièmes pères. A leur époque, ils ont dû abandonner la célébrité et la fortune pour se battre pour leur pays et nous poursuivions ce même combat. Nous étions déjà un groupe très soudé et avions tous en tête que c’étaient les 20 ans de notre indépendance. Nous étions déterminés à être dignes de notre peuple. » (Source : The Guardian)

Lakhdar Belloumi, sur la détermination et la rage de vaincre de son équipe

Des débuts de rêve

Vient alors la date fatidique. 16 juin 1982.  Il est 17h15 heure locale. Le coup d’envoi est donné. Les Allemands, qui s’attendaient à une promenade de santé, vont très vite être surpris. Ils font face à une adversité, et quelle adversité ! Après une brillante phase de qualification où ils inscriront 33 buts pour 3 encaissés, la RFA tombe de haut face à autant d’opposition. Après une première mi-temps où les Algériens ont été globalement meilleurs, le score est de 0-0 mais on sent que les Verts sont capables de mener. C’est d’ailleurs ce qu’il se passera à la 54e minute de jeu. Contre-éclair mené de la droite de la défense. Le ballon remonte jusqu’à Djamel Zidane qui profite d’une ouverture à gauche pour Lakhdar Belloumi qui bute sur le gardien allemand Harald Schumacher. Derrière, Rabah Madjer reprend du droit et inscrit le premier but de la rencontre.

Coup de tonnerre à Gijón ! L’Algérie mène face au champion d’Europe. Cependant, à la 67e minute, Karl-Heinz Rummenigge, Ballon d’Or 80 et 81, égalise. On se dit alors que l’Allemagne se remet en ordre de marche. Il n’en sera rien. Les Algériens reprennent le jeu et dans la minute, il s’ensuivra une séquence de 9 passes sur le côté gauche, un centre de Salah Assad pour le pied droit de Lakhdar Belloumi. 2-1 pour l’Algérie ! Le score ne bougera plus. Pour le monde du ballon rond, c’est un retentissement. Jupp Derwall revient sur ses paroles du dernier train mais le mal est fait. Outre-Rhin, on vit cette défaite comme une catastrophe nationale. Pour les Algériens, c’est un exploit incroyable qui place l’Algérie sur l’échiquier du football. Elle devient alors la première équipe africaine à battre une équipe championne du monde.

Cette victoire est assez particulière pour moi car elle m’a été contée tant de fois par mon entourage, mon père notamment. J’ai pu revoir le match de mon côté et je comprends la fierté qui en ressort tant il devait être beau à regarder en direct. Je ne me lasserai jamais d’entendre parler de ces joueurs de l’époque qui ont joué avant tout pour leur honneur, pour exister aux yeux de leur monde, celui du pays algérien. Quant à la suite, on me l’a contée autant de fois et elle aura été rocambolesque.

Une inexpérience fatale

Malheureusement, lors du match suivant face à l’Autriche, l’Algérie ne réitèrera pas cet exploit. Un excès de confiance suite à leur belle victoire ou un peu de fatigue après les efforts fournis. La défaite sera sans appel. Des buts de Schachner et Krankl et l’Autriche disposera des Fennecs 2 buts à 0.

« Cela montre notre inexpérience. Nous aurions dû garder la tête froide avant le match et remplacer quelques joueurs mais les Autrichiens avaient étudié notre style de jeu et savaient que nous pouvions être vulnérables en contre-attaque. » (Source : The Guardian)

Lakhdar Belloumi, à propos de la préparation du deuxième match

Lors du match suivant, face au Chili, les Algériens retrouvent de l’allant et mènent 3-0 au bout de 35 minutes après un doublé de Salah Assad et un but de Tedj Bensaoula. Une première mi-temps parfaite. Pourtant, la suite sera un peu plus compliquée que prévue. Là où beaucoup auraient géré les débats, l’Algérie fait le choix de continuer d’attaquer et s’expose alors à des erreurs impardonnables. Miguel Ángel Neira, sur penalty, puis Juan Carlos Letelier réduisent le score. Le match se terminera par un 3-2. Victoire des Algériens. Malheureusement, ces deux buts chiliens vont peser dans la balance et vont donner lieu à l’un des plus gros scandales de l’histoire du football.

A cette époque, les derniers matchs de poule ne se jouaient pas en même temps. Le match opposant la RFA à l’Autriche était, lui, programmé le lendemain. C’est alors le moment de sortir les calculettes. Une victoire de la RFA par un ou deux but(s) d’écart et les Verts sont éliminés. Tout autre résultat les qualifierait pour le second tour. Les Algériens ne sont pas sereins et demeurent totalement impuissants face à cette situation qui ne les arrange pas du tout …

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Un scandale sur fond de pathétique

Malgré leur frontière et leur langue communes, les Allemands et les Autrichiens ne s’apprécient que très peu sur le plan footballistique. Alors pourquoi penser à des pourparlers pour s’arranger une qualification commune ? Le début de la rencontre dissipera d’ailleurs ces doutes. L’Allemagne joue, vite et fort, et veut marquer, rapidement. 10e minute, un centre venu de la gauche et Horst Hrubesch place une tête piquée dans le but autrichien. 1-0. On se dit alors que l’Allemagne se dirige vers une victoire facile. Malheureusement, cette 10e minute viendra marquer la fin du match. Les 80 minutes suivantes s’apparenteront à un spectacle où les 22 acteurs marcheront et se feront des passes dans leur propre camp. Le score parfait pour les deux voisins. L’Algérie passe à la trappe …

En effet, sur la totalité du match, les deux équipes vont dépasser les 90% de réussite aux passes, un taux qui atteint 99% pour les Autrichiens dans leur propre moitié de terrain, 98% pour les Allemands. Un pressing inexistant et très peu d’occasions. Tout laisse entendre à des discussions entre les deux effectifs.

« Il n’y avait pas à proprement parler eu d’accord formel entre les Autrichiens et nous, mais une sorte d’entente tacite » (source : Eurosport)

Harald Schumacher dans son autobiographie, Coup de sifflet

Sur le terrain, tout semble parfaitement clair. Entre les conciliabules aux quatre coins du terrain et l’intensité disparue depuis cette fameuse 10e minute, le doute n’est plus permis. Le spectacle est davantage présent dans les tribunes du Molinón où les joueurs sont conspués. Des “Dégagez, dégagez” ou des “Algérie, Algérie !” sortent des travées. Des spectateurs vont même jeter et brûler des billets de banques, signe que la corruption n’est jamais très loin …

Du côté des commentateurs, même son de cloche. D’un côté, Michel Denisot parlera de “retirer leurs licences à ces 22-là” au micro de TF1. De l’autre, Hugh Johns, le commentateur anglais sur ITV, ira jusqu’à dire la chose suivante : “c’était un des matches les plus honteux auxquels j’ai pu assister.”. En Allemagne et en Autriche, personne n’est fier du cirque qu’ont proposé leurs compatriotes. Quand certains demandent aux téléspectateurs autrichiens d’éteindre leur télé, d’autres, comme Eberhard Stanjek, sur la chaîne allemande ARD, choisissent de se taire pour les 30 dernières minutes de la rencontre.

Des ex-internationaux de la RFA, comme Willi Schulz, catalogueront les joueurs allemands de “gangsters”. Du côté des protagonistes, il n’y a rien de mal à la jouer tactique. Parmi eux, un mépris teinté de racisme va même poindre dans cette tempête médiatique. Hans Tschak, le responsable de la délégation autrichienne, en est le meilleur exemple. “Bien sûr que le match a été tactique aujourd’hui, mais si 10 000 fils du désert dans le stade veulent déclencher un scandale à cause de ça, cela prouve juste qu’ils ont trop peu d’écoles chez eux”.

Entre espoir et désespoir

Heureusement pour le fair-play, c’est l’Italie, sans aucune contestation, qui deviendra championne du monde en battant … la RFA 3 buts à 1. Le scandale un peu calmé, il est temps d’en tirer les bonnes leçons. Changement de taille : depuis ce match, toutes les dernières rencontres de groupe se joueront en même temps pour éviter tout arrangement. Pour l’Algérie, le bilan reste malgré tout positif.

« Nous n’étions pas en colère mais tranquilles. Voir deux grandes équipes obligées de se comporter comme ça pour nous éliminer, c’était finalement le plus bel hommage rendu à l’Algérie. Ils ont avancé dans le déshonneur, nous sommes partis la tête haute. » (source : The Guardian)

Chaabane Merzekane, satisfait malgré l’élimination

Cette compétition a donc permis de montrer que des nations supposées moins fortes et moins expérimentées pouvaient rivaliser avec de grandes nations du football. Cependant, l’Algérie ne saura pas capitaliser ses exploits. Elle jouera le Mondial 86, éliminée dès le premier tour, sans gloire. Entre des luttes d’influence politiques et des frictions entre joueurs immigrés et joueurs locaux, l’ambiance n’est pas au beau fixe. Les défiances et les conflits au sein même de la fédération et de la sélection réduiront à néant tout le travail et les efforts fournis en amont. La Coupe d’Afrique des nations remportée en 1990 créera un temps l’illusion pour laisser place à la “décennie sanglante”, une guerre civile qui sévira 10 ans en Algérie entre le gouvernement algérien et divers groupes islamistes.

Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Même si aucun pays africain n’est encore parvenu à atteindre la demi-finale d’un Mondial, les progrès sont là. L’année 1982 restera en tout cas une année pas comme les autres. Après le FLN et l’indépendance, la lutte algérienne menée face aux grands de ce monde footballistique sonne comme une victoire pour la fierté et la liberté.

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