Helmut Rahn, le héros de Berne

Victorieuse de l’Argentine par deux fois en 1990 et 2014, des Pays-Bas en 1974, l’Allemagne remportera sa première étoile en 1954 face à la Hongrie. Dans une finale connue comme le « Miracle de Berne », un homme va marquer ce match de son empreinte. Son nom ? Helmut Rahn. Légende du football allemand au caractère bien trempé, le buteur de la Mannschaft va être l’artisan d’un exploit retentissant au cours de l’été 1954. Retour sur son Mondial 1954, qui l’aura vu commencer sur le banc avant de briller sur les pelouses helvétiques.

En 1954, l’Allemagne va retrouver la Coupe du monde, sous l’égide de la sélection de l’Allemagne de l’Ouest. Interdits de se présenter en 1950, les Allemands avaient à cœur de prouver au monde entier que la guerre était derrière eux. En quête d’une identité nationale, la toute jeune République Fédérale d’Allemagne – ou Allemagne de l’Ouest – va trouver dans le football un moyen de rassembler la population sous une seule couleur. Après une qualification acquise au profit de la Norvège et la Sarre, la National Mannschaft va retrouver la Coupe du monde, seize ans après sa dernière apparition. La sélection allemande était dirigée par Sepp Herberger, entraîneur depuis 1950, qui avait déjà pris les rênes de l’équipe sous le IIIe Reich, entre 1936 et 1942. L’homme fort de cette Mannschaft va sélectionner 22 joueurs pour prendre la direction de la Suisse. Parmi les heureux élus, un jeune attaquant de 24 ans va rejoindre le train allemand, un certain Helmut Rahn.

Der Boss

Footballeur de talent, l’avenir de Rahn aurait pu prendre un tout autre chemin que celui des pelouses. Issu d’une famille ouvrière de la région de la Ruhr, Helmut ne pouvait pas envisager de gagner sa vie autrement que grâce au football. Dans un pays où le ballon rond est un sport amateur, le footballeur gagne difficilement sa vie. Il pense un temps embrasser le métier d’électricien dans sa ville natale, Essen. Mais le bombardement de son usine pendant la Seconde Guerre mondiale, conjugué à son amour pour le football va le pousser à poursuivre sa carrière sur les pelouses. Le talent de Rahn explose aux yeux de tous au Rot-Weiss Essen, club qu’il va mener au sommet du football allemand dans les années 1950. L’attaquant va gagner le surnom de « Der Boss » – Le Patron en français – au fil des saisons.

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Son profil de renard des surfaces le transforme en un buteur redoutable. Doué techniquement balle au pied, il dispose d’une belle pointe de vitesse qui fait de lui une menace permanente pour les défenses adverses. Le début de la gloire commence le 1er mai 1953, jour de la finale de la Coupe d’Allemagne. Ce jour-là, il permet aux siens de remporter la coupe nationale avec un but décisif à la 52e qui scellera la victoire du R.W. Essen, 2-1, face à l’Alemannia Aix-la-Chapelle. Rahn a montré sa capacité à briller dans les moments importants. Il ne le sait pas encore, mais c’est le début d’une ascension fulgurante qui le mènera en Suisse.

Auf den Spuren von Helmut Rahn" - Reviersport
Helmut Rahn (au centre) après son titre de champion d’Allemagne en 1955 avec le Rot-Weiss Essen | Crédit image : Reviersport.de

 

Un second choix

Au début du Mondial 54, Rahn n’est pas dans les petits papiers du sélectionneur. Remplaçant pour le premier match contre la Turquie, il assiste à la victoire des siens depuis le banc. Un coup sur la tête du buteur du R.W. Essen qui espérait pouvoir être titulaire, d’autant qu’à l’époque les changements n’étaient pas autorisés. Le second et dernier match de poule opposera la Mannschaft au grandissime favori du tournoi : la Hongrie. Dans un coup de poker qui s’avérera gagnant, Sepp Herberger va décider de faire jouer son équipe B pour faire reposer ses cadres. Mais surtout il veut éviter de prendre la première place et laisser au onze d’or hongrois le droit de rencontrer le Brésil en quart de finale et l’Uruguay en demi-finale, les deux derniers finalistes de la dernière édition. L’Allemagne va se faire humilier 8-3 par la Hongrie d’un Ferenc Puskás qui sera blessé après un tacle violent d’un défenseur allemand. Au milieu de ce choc qui n’en était pas un, Rahn obtient une occasion de se mettre de l’avant. Une opportunité qu’il saisit puisqu’il inscrit un but. Mais il n’est pas dupe, il sait qu’il a pu jouer pour faire souffler les titulaires. Une situation qu’il a du mal à supporter, pensant à juste titre qu’il peut jouer un rôle majeur dans le onze de Herberger.

Le club des insatisfaits

Les Allemands vont aller chercher leur deuxième place face à la Turquie dans un match d’appui. Sans la moindre difficulté, la Mannschaft va s’imposer 7-2 grâce à un triplé de Max Morlock. Mais une fois de plus, Rahn est laissé sur la touche. Une mise à l’écart qui n’est pas du goût de l’attaquant du Rot-Weiss Essen qui décide de monter un groupe avec ses coéquipiers remplaçants. Les mutins vont répondre au nom du « club des insatisfaits ». Énervés et frustrés, ils vont faire une virée improvisée pour noyer leurs peines dans l’alcool. Dans ses mémoires, Rahn reviendra sur cet épisode qui ne va pas plaire à son capitaine Fritz Walter :

« Nous avons râlé pendant un certain temps. Nous avons même créé un « club des insatisfaits », nous nous sommes séparés et nous nous sommes dirigés vers l’auberge de l‘autre côté du Lac de Thoune. Nous avons évacué notre frustration avec quelques bières. »

(Source : DFB)

Cette sortie nocturne remonte jusqu’aux oreilles du capitaine. Compagnon de chambre de Rahn, il va être à l’origine d’une décision historique pour la Mannschaft et la carrière du Patron. Réunis dans la chambre 303 de leur hôtel, Fritz et Helmut étaient colocataires pour des raisons bien particulières. À la demande du sélectionneur, Rahn était là pour motiver un Walter déprimé depuis sa défaite en finale du championnat d’Allemagne contre Hanovre. Moteur essentiel de l’équipe, Walter était le leader de cette équipe, c’est pourquoi il devait être remonté à bloc pour donner le meilleur de lui-même en Suisse. Herberger était convaincu que le caractère bien trempé de Rahn aller remonter le moral de son capitaine. Et les résultats lui donneront raison. Walter avait déjà inscrit deux buts au premier tour, dégageant une impression de véritable leader sur la pelouse.

Helmut Rahn - Die religiöse Seite des Bosses (Archiv)
Crédit image : Deutschlanfunk.de

La veille du quart de finale contre la Yougoslavie, Walter plus confiant que jamais va sermonner Rahn, après son escapade nocturne en compagnie d’une poignée de ses coéquipiers. Comme le racontera Rahn lui-même dans son autobiographie, son capitaine lui délivrera un discours digne d’un leader de vestiaire. Les mots fédérateurs de Walter iront droit au cœur de Rahn, recollant peu à peu les morceaux entre son attaquant et la Mannschaft :

« Nous sommes ensemble ici, nous formons une équipe, que nous jouions ou non. Tu n’es pas raisonnable, tu ne sais pas te maîtriser et ne fais que te mettre en rogne. Allez mon gars respire un bon coup et sois aussi drôle que tu l’es d’habitude. »

(Source : DFB)

Le capitaine va sentir la détermination et l’envie de son partenaire. La légende dira qu’il ira en toucher deux mots à son sélectionneur la veille du match. Le jour du match Rahn apprend avec joie qu’il est titulaire, le grand jour est enfin arrivé. Sur motivé, l’attaquant promet à son sélectionneur qu’il va marquer contre la Yougoslavie. Sûr de lui, il parie aussi une bouteille de vin à son capitaine à la mi-temps du match. Le score est de 1-0 après un but contre son camp d’un défenseur yougoslave. Rahn déclare qu’il va marquer un but dans les dernières 45 minutes. Une double promesse qu’il tiendra, puisqu’il inscrira le deuxième but allemand en fin de match. Après un rush sur le côté droit, il marque un sublime but en envoyant une frappe puissante du droit. L’Allemagne de l’Ouest se sortira difficilement du piège yougoslave (2-0) et rejoindra l’Autriche en demi-finale.

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La naissance d’une légende vivante

Le plus grand fait d’arme de la carrière du buteur allemand arrivera le 4 juillet 1954. La finale de la Coupe du monde opposa d’un côté l’Allemagne de l’Ouest, qui avait éliminé l’Autriche 6-1 en demi-finale. De l’autre côté la Hongrie était prête pour décrocher son deuxième titre majeur, après une médaille d’or aux Jeux Olympiques 1952. Le onze d’or hongrois aura connu un parcours semé d’embûche pour rejoindre la Mannschaft à Berne. Sans sa star Puskás, la Hongrie va difficilement se débarrasser du Brésil en quart de finale, dans un match physique qui sera connu comme la Bataille de Berne. Le tour suivant sera tout aussi douloureux pour la Hongrie. Face aux champions du monde en titre, les Hongrois vont se qualifier au bout des prolongations, face à la grande Uruguay.

La finale va opposer deux styles de jeu diamétralement différents. Dans des conditions de jeu dégradées par la pluie qui va s’abattre sur la pelouse, ce match va rentrer dans la légende du football. Tout le monde pense que la Hongrie va humilier son adversaire du jour, comme lors des phases de poules, mais il n’en sera rien. Supérieurs techniquement, les Magyars ont dominé la planète football avec un système de jeu qui mettait au centre le jeu de passe et le collectif. Une supériorité qui sera bien visible d’entrée de jeu. Au bout de six minutes de jeu, l’Allemagne de l’Ouest accuse déjà un retard de deux buts. Ferenc Puskás et Zoltán Czibor profitent d’une défense allemande aux abois pour inscrire deux buts à tour de rôle. Mais la Mannschaft ne va pas paniquer et va réagir grâce à son héros du jour : Helmut Rahn. Le chrono affiche dix minutes de jeu quand l’attaquant déborde sur le côté gauche, il centre fort au point de penalty, et trouve Maximilian Morlock. Le buteur du FC Nuremberg est seul de tout marquage dans la surface, il coupe la trajectoire du ballon et inscrit un but. Surmontés par la réduction de l’écart, les Allemands y croient de nouveau. Huit minutes plus tard, une nouvelle vague allemande s’abat sur le but hongrois. Un corner tiré par le capitaine Walter atterrit sur Rahn, seul au second poteau, il n’hésite pas un seul instant pour propulser le cuir au fond des filets. La Hongrie n’en revient pas, elle vient de gâcher son avance en moins de dix minutes. Les spectateurs eux sont conquis, ils ne pouvaient pas rêver meilleure fin à cette Coupe du monde riche en spectacles.

Au retour des vestiaires les deux équipes tenteront de faire basculer l’issue du match. La Hongrie passera si proche de prendre l’avantage à de multiples occasions, mais une défense emmenée par un Toni Turek infranchissable dans ses cages va maintenir le navire allemand à flot. L’Allemagne de l’Ouest va souffrir devant les offensives hongroises, jusqu’à une contre-attaque rondement menée par la Mannschaft en fin de rencontre.

Nous sommes à la 84e minute, le moment décisif de cette finale épique choisi par Rahn pour faire basculer le match. Devant sa surface la défense hongroise repousse un centre de Hans Schäfer, le ballon revient vers Rahn. Il contrôle le ballon du droit, feinte son vis-à-vis vers la gauche, et envoie une frappe puissante du gauche, l’Allemagne de l’Ouest prend l’avantage et s’envole vers un premier titre mondial.

« Schäfer fait un centre magnifique. Ni Morlock, ni Otmar, ni deux défenseurs hongrois ne touchent la balle. Je cours et la récupère au coin de la surface de réparation. […] Avec le pied gauche, j’envoie une bombe. La balle n’a pas achevé sa trajectoire que j’ai compris. Grosics ne l’arrêtera pas. »

Extrait de l’autobiographie de Helmut Rahn

(Source : Le Temps)

La Hongrie ne s’en remettra pas et l’Allemagne de l’Ouest sera championne du monde. Moins de dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Allemands s’unissent autour de cette équipe triomphante de la Mannschaft de 1954. Les champions du monde seront érigés en héros, Helmut Rahn le premier. Il aura été l’acteur central de cette remontée allemande. Avec un doublé et une passe décisive, il va renverser le cours du match à lui tout seul. Un exploit rendu possible par l’aide et le travail de ses partenaires qui ont, ce jour-là, écrit l’un des plus beaux récits du football allemand, le Miracle de Berne.

De retour chez lui Rahn va devenir une légende du football. Champion d’Allemagne l’année suivante, il poursuit sa carrière à Cologne avant d’être l’un des premiers joueurs allemands à s’expatrier, pour rejoindre les Pays-Bas et le SC Enschede – ancêtre du FC Twente. Il sera aussi l’un des principaux artisans du beau parcours allemand jusqu’en demi-finale du Mondial 1958. En Suède, il inscrira six buts, portant son total à dix buts en Coupe du monde. Décédé le 14 août 2003, à deux jours de son anniversaire, il laissera un souvenir inoubliable à toute la nation allemande.

Crédit image :

Fussball Museum.de

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