Espagne 1962 : Bilan d’un naufrage (3/3)

Loin de faire aussi bien qu’une quatrième place comme en 1950, la Roja a livré une pâle performance collective au Chili. Les rumeurs et les polémiques n’ont pas aidé à la bonne préparation de l’Espagne à cette Coupe du monde. Très critiqué à son retour, Helenio Herrera se fera discret dans la péninsule après le Mondial chilien. Dans cette dernière partie je vous propose de revenir sur les raisons de cet échec.

L’armada espagnole n’aura pas pu surmonter les défis qui se sont opposés à elle. L’effectif de la Roja comptait pourtant une flopée de joueurs reconnus sur le continent européen et dans le monde entier. Les noms de Puskás, Gento, Suarez ou Santamaría, sont les plus connus, mais ils ne sont pas les seules stars de cette équipe. Le milieu était composé de Euledio Martinez et de Joan Segarra, deux pièces importantes du FC Barcelone. La défense était renforcée par la présence de Carmelo, gardien de l’Athletic Bilbao, ou Enrique Collar et Adelardo dans un rôle plus offensif, tous deux joueurs de l’Atletico Madrid. Les 22 sélectionnés étaient le reflet du paysage footballistique espagnol. Le Real Madrid et le FC Barcelone avaient sept joueurs chacun, l’Atletico quatre joueurs, Bilbao deux, et le Real Saragosse était représenté par Severino Reija, fautif sur le but contre la Tchécoslovaquie. Mais l’Inter Milan, alors dirigé par Herrera, était aussi présent avec le grand Luis Suarez.

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L’énigme Di Stéfano

Une des polémiques qui va ébranler la sélection espagnole sera l’absence de Alfredo Di Stéfano. La légende madrilène, âgée de 35 ans, avait grandement participé à la qualification de la Roja pendant les éliminatoires en inscrivant deux buts décisifs. Mais une blessure avant le début du Mondial va le priver de sa première Coupe du monde. Pourtant les deux sélectionneurs de la sélection (Helenio Herrera et Pablo Hernández Coronado) feront tout de même appel à ses services, misant sur un rétablissement de leur star en cours de tournoi. Cédant à l’insistance de Herrera, Di Stéfano s’entraînera pendant une heure avec ses partenaires avant le premier match. Mais le madrilène n’était pas prêt physiquement à reprendre. Sur le banc pour le premier match, il va subir une forte pression médiatique, ses moindres faits et gestes scrutés par des journalistes curieux de savoir dans quel état il se trouvait réellement. Mais la pression va aussi venir de son staff technique. C’est Herrera en personne qui va annoncer qu’il sera apte à jouer le second match contre le Mexique, malgré une condition physique toujours incertaine.

« Di Stéfano manque de confiance en lui après sa récente blessure. Il préfère rester dans le groupe lors de cette première rencontre. Mais il sera néanmoins prêt à faire ses débuts contre le Mexique »

Helenio Herrera après le match contre la Tchécoslovaquie. (Source : El Universo)

Une déclaration trompeuse qui alimentera les rumeurs dans les médias sud-américains et espagnols. En réalité Di Stéfano était encore blessé, et il n’enfilera jamais la tunique de la Roja au Chili. La légende madrilène va déclarer plusieurs années plus tard, qu’il n’était pas apte à fouler les pelouses chiliennes. En l’absence de sa star l’Espagne ne va pas être flamboyante dans le jeu. L’animation offensive sera laissée à Ferenc Puskás en pointe et Paco Gento sur son côté gauche. Les deux virtuoses du Real Madrid ne vont pas laisser les mêmes impressions pendant le tournoi. D’un côté un Puskás imprécis, plus proche de la fin de sa carrière que de ses belles années avec la Hongrie des années 1950. De l’autre, un Gento en pleine forme, rapide comme l’éclair, qui va déposer tous ses adversaires grâce à une vitesse exceptionnelle. L’ailier madrilène sera à l’origine du seul but de la Roja contre le Mexique dans les dernières secondes de la partie.

Peu inspirée devant le but, l’Espagne va se montrer fébrile en défense. La défense espagnole va connaître un alignement différent à chacun des trois matchs. Des changements contraints par les blessures (Reija, Rivilla), mais aussi par des choix tactiques qui vont faire parler d’eux en Espagne. Par exemple le défenseur José Santamaría, auteur de deux très bonnes prestations contre la Tchécoslovaquie et le Mexique, se retrouvera sur le banc contre le Brésil. Un scénario similaire pour le gardien Carmelo, spectaculaire contre les Tchécoslovaques, il perdra sa place au profit de José Araquistáin, gardien du Real Madrid.

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Un fantôme nommé Luis Suarez

La grande déception de ce Mondial pour l’Espagne sera Luis Suarez. Reconnu comme étant l’un des meilleurs joueurs espagnols de l’histoire, il avait fort à faire au Chili pour pallier l’absence de Di Stéfano. Aux côtés de Gento et Puskás, il ne va pas réussir à se mettre de l’avant, et son association avec Puskás sera peu concluante. Les deux joueurs vont être attirés par l’axe, se marchant régulièrement sur les pieds, les deux joueurs ne vont pas réussir à trouver la solution pour faire fonctionner le duo. Mis sur le banc lors du dernier match contre le Brésil, Suarez verra son remplaçant, Adelardo, inscrire le seul but espagnol du match, après une combinaison avec Puskás. Une paire qui aura donc plus de réussite que la précédente. Mais ce choix ne sera pas chose facile pour Herrera, puisque Suarez était son protégé. Arrivé en 1958 en Catalogne, le coach argentin va faire de Suarez sa principale arme offensive, au côté du hongrois László Kubala. Deux ans plus tard, Herrera s’envole pour l’Italie et rejoint l’Inter Milan. Un départ qui va profondément affecter Suarez, qui prendra la décision de le rejoindre en 1961. Ensemble ils remporteront le championnat espagnol et la Coupe d’Espagne avec le FC Barcelone. Mais aussi le championnat italien, et surtout deux Coupes d’Europe des clubs champions – l’actuelle Ligue des Champions – avec le club milanais. C’est aussi sous Herrera que Suarez va connaître ses meilleures années, terminant trois fois sur le podium du prestigieux Ballon d’Or entre 1961 et 1965. Une récompense qu’il avait soulevée en 1960 sous les couleurs blaugranas.

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L’élimination de l’Espagne va pousser la fédération à faire un grand ménage. Tout commence avec le duo de sélectionneurs qui sera remercié dans la foulée. C’est José Villalonga qui prendra la relève. Les légendes vieillissantes qui ont été naturalisées comme Di Stéfano (Argentine), Puskás (Hongrie), Santamaría (Uruguay) et Martinez (Paraguay) prendront leurs retraites internationales. Des changements qui vont s’avérer bénéfiques pour la Roja qui remportera le championnat d’Europe en 1964. Sous la pression d’un pouvoir dictatorial dominé par Franco, l’Espagne va soulever le trophée devant une foule de Santiago Bernabeu en délire. Dans cette équipe on retrouvera notamment Luis Suarez et Feliciano Rivilla, les deux derniers rescapés du naufrage de 1962. Une chose est sûre, le Mondial chilien ne restera pas dans les mémoires des Espagnols, qui ont depuis atteint les sommets en remportant la Coupe du monde en 2010.

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