Héctor Scarone, le magicien uruguayen

Le 30 juillet 1930, l’Uruguay remporte la première édition de la Coupe du monde de la FIFA. Ce jour-là, la Celeste s’impose 4-2 contre son grand rival et voisin, l’Argentine. Au bout d’un match rythmé par l’agressivité et le suspense, les supporters uruguayens peuvent dire merci à un homme. Il ne s’agit ni de José Andrade l’insaisissable milieu de terrain, ni de José Nasazzi le grand et robuste capitaine de la défense, ni de Héctor Castro le manchot divin. Il s’agit d’Héctor Scarone.

Il va être l’un des symboles de la grande Celeste. Considéré comme l’un des meilleurs joueurs du monde dans les années 1920, Héctor est toujours aujourd’hui l’un des meilleurs footballeurs que l’Uruguay n’ait jamais produit, bien avant les Enzo Francescoli, Luis Suarez ou Edinson Cavani. Attaquant hors norme, il va rester pendant plusieurs décennies comme le meilleur buteur de l’histoire de la Celeste, avant que Diego Forlán ne finisse par le dépasser en 2011. Un record qui va tenir plus de 80 ans !

L’enfant de Montevideo

Son histoire commence en 1899 à Montevideo. Enfant d’immigré italien, déjà petit El Mago – le Magicien – était passionné par le ballon rond. Un amour transmis par les prouesses de son grand frère, Carlos Scarone, son aîné de dix ans. Carlos jouera sur le front de l’attaque et sera un buteur redoutable avec le Club Nacional pendant 13 saisons. Admiratif et talentueux, Héctor Scarone va suivre les pas de son ainé au Nacional qu’il va rejoindre à 18 ans.

Le jeune Héctor séduit les supporters par son incroyable vision du jeu et sa qualité de buteur qui ne font aucun doute. Au côté de son frère, il est titulaire dans une équipe qui domine le championnat national en terminant avec 22 points d’avance sur son dauphin. Lors du match du titre contre le Dublin FC, Héctor inscrit l’unique but du match. Le voilà champion d’Uruguay au côté de son frère en 1916. Mais la moisson de trophée ne s’arrête pas là. La même année, il remporte la Copa Aldao et la Copa de Honor Cusenier. Les deux compétitions rassemblent les meilleurs clubs uruguayens et argentins de l’époque, et elles font partie des premières compétitions continentales entre clubs sud-américains. Lors des deux finales qui vont l’opposer au Racing et au Rosario Central, Héctor marque dans chacun des deux matchs. Il commence à peine à écrire sa légende avec les Bolsos où il inscrira 289 buts.

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Épatant pour sa première saison, le jeune Scarone ne tarde pas à se faire un nom dans le pays l’année suivante. En 1917, il fait ses premiers pas avec la sélection nationale. Toujours en compagnie de son grand frère, il participe pour la première fois à la Copa America. Le tournoi continental vient tout juste de naître et s’appelle encore championnat sud-américain. L’Uruguay avait raflé la première édition en 1916, sans Héctor. La seconde édition se tient à Montevideo. Il est titularisé d’entrée de jeu contre le Chili. Muet devant les cages, c’est son frère qui va briller en inscrivant un doublé. Une semaine plus tard, Héctor marque le premier de ses 31 buts sous le maillot bleu ciel. Une première réalisation contre le Brésil, battu sèchement quatre à zéro ce jour-là.

Le 14 octobre 1917, l’Uruguay et l’Argentine se retrouvent à Montevideo pour le dernier match du tournoi qui fait office de finale. Bien que novice, Héctor n’est pas effrayé par l’enjeu de la rencontre. Il devient un héros en marquant le seul et unique but de la partie. Inconnu il y a peine deux ans, il devient la star de la Celeste. Un statut qui se confirme quand il est élu meilleur joueur du tournoi, à seulement 19 ans. En quelques années, il fait oublier les performances de son frère. Titulaire indiscutable en club comme en sélection, il fait parler de lui jusqu’en Europe. Une popularité acquise en partie grâce à ses deux succès olympiques avec la Celeste, mais aussi grâce à une fabuleuse tournée avec son club en 1925.

À la découverte de l’Europe

Cette année-là, le Nacional organise une tournée de matchs amicaux sur le vieux continent. Le succès est au rendez-vous pour le club uruguayen qui impressionne tous ses adversaires. Sur les 38 matchs joués, 26 sont remportés par le club de Montevideo. Mais surtout 130 buts sont inscrits par le Nacional, dont Héctor est l’arme offensive numéro un. Il inscrit 26 buts en autant de matchs. Le Magicien est insaisissable balle au pied, et il marque les esprits des spectateurs européens. L’Europe ne reste pas insensible à Héctor Scarone qui devient l’objet de toutes les convoitises de la part des grands clubs du vieux continent.

Artistrean on Twitter: "Héctor Scarone, el primer gran fichaje internacional del Fútbol Club Barcelona. Año 1926. Foto coloreada. #Barcelona… https://t.co/WkjgecpXnA"
Scarone avec le maillot du FC Barcelone | Crédit image : Artistrean via Twitter

Ambitieux, le FC Barcelone arrive à convaincre le natif de Montevideo de traverser l’océan et de rejoindre la Catalogne en 1926. Il devient la première star sud-américaine à s’exiler en Europe. Un exil qui sera de courte durée en Espagne, puisqu’après une seule saison, il va plier bagage pour rentrer au pays. Même si le Barca lui propose un pont en or avec un contrat de cinq ans et 30 000 pesos à la clé, Héctor refuse l’offre. Il veut revenir jouer avec la Celeste. Et pour cela il doit faire une croix sur ce contrat qui l’aurait empêché de jouer à nouveau pour son pays. Car oui dans une époque où les footballeurs étaient pour la plupart amateurs, la rémunération de leurs services étaient quasiment interdites. Avant d’embarquer pour Montevideo, il dira : « Je pensais à l’Uruguay, les Jeux Olympiques de 1928 allaient bientôt arriver et que je devais revenir ici (…) dans mon Nacional ” comme le rapporte Marca.

Champion Olympique en 1924 à Paris, El Mago est à nouveau de l’aventure quatre ans plus tard, en 1928. À Amsterdam, il mène la Celeste vers une deuxième médaille d’or. Déjà buteur contre les Pays-Bas en huitième et l’Italie en demi-finale, il récidive en finale. Il est encore une fois opposé à l’Argentine qu’il avait battue à lui tout seul onze ans plus tôt, en 1917. Cette fois-ci la tâche est plus difficile après un premier match sans vainqueur, l’Uruguay doit s’en remettre à Roberto Figueroa et à Héctor Scarone pour venir à bout de l’Albiceleste.

La vedette de la Celeste

Attaquant technique et redoutable devant le but, il est le phare de l’attaque uruguayenne pendant plus de dix ans. Lors du Mondial 1930, il est le joueur le plus âgé de l’effectif uruguayen. À 31 ans il est le vétéran d’une équipe qui a tout raflé sur son passage. Six fois champion d’Amérique du Sud depuis 1916, l’Uruguay n’a pas d’égal sur le continent. Le succès de la Celeste va s’entendre à l’Europe avec deux médailles d’or aux Jeux Olympiques en 1924 et 1928. L’Uruguay est sans conteste la meilleure équipe du monde dans les années 1920. Plus rien ne pouvait échapper à la domination uruguayenne, si ce n’est deux Copa America en 1925 et 1929, perdues au profit de l’Argentine.

Le 30 juillet 1930, Héctor s’apprête à disputer le dernier match de sa carrière internationale et il veut finir en beauté. Leader du vestiaire, c’est un fantastique meneur de jeu au cours du tournoi. Remplaçant lors du premier match contre le Pérou, il est titulaire et même buteur contre la Roumanie. Son seul but en Coupe du monde.

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Muet en finale contre l’Argentine, il se transforme en passeur pour délivrer son pays. Un rôle qu’il a affectionné tout au long de sa carrière. À la 57e, il adresse une passe décisive à son partenaire en club, Pedro Cea, et l’Uruguay revient à égalité. Dix minutes plus tard, il trouve Santos Iriarte qui propulse une ogive dans la lucarne de Juan Carlos Botasso, le gardien argentin qui ne peut rien faire. Un dernier but de Héctor Castro clôture la fête pour l’Uruguay. Champion du monde, Héctor prend sa retraite internationale sur un titre historique.

Un dernier voyage

El Mago a tout gagné chez lui, mais il ne lui manque plus qu’une chose à accomplir : faire carrière de l’autre côté de l’Atlantique. Déjà parti en 1926 pour tenter sa chance au FC Barcelone, Héctor connaît un second exil loin de chez lui pour briller en Italie.

Vingt ans après Julio Bavastro, il devient le deuxième joueur uruguayen à jouer en Italie. D’abord sous les couleurs de l’Inter Milan en 1931, il évolue aux côtés de Giuseppe Meazza. Il poursuit son aventure à Palerme pendant deux saisons jusqu’en 1934. Il laisse les Italiens admiratifs. Meazza, double champion du monde déclare « Honnêtement, j’ai fait face à de nombreux joueurs dans ma carrière, mais pour moi Héctor Scarone était le meilleur de tous ». Des propos élogieux d’une légende à une autre, qui témoigne de l’admiration que Héctor a suscité durant sa carrière.

Hector Scarone, the Uruguayan wizard | News
Scarone et Meazza côte à côte avec l’Inter Milan | Crédit image : Inter.it

Scarone se retire des terrains en 1939 – après une dernière pige au Club Nacional – et il se reconvertit comme entraîneur sur les bancs de touches. D’abord avec le Millonarios en Colombie, il dirige un brillant attaquant argentin du nom d’Alfredo Di Stéfano, avant que celui-ci n’écrive sa légende dans la capitale espagnole au Real Madrid. Il poursuit justement sa carrière d’entraîneur chez les Merengue pendant quelques saisons, avant de revenir dans son pays.

Décédé en 1967, chez lui à Montevideo, Héctor Scarone a laissé un souvenir inoubliable à son pays avec qu’il a tout gagné. Le Nacional a renommé une de ses tribunes en son honneur pour rendre un dernier hommage à celui qui aura été l’une des plus grandes stars du football de l’avant-guerre.

Crédit image : AUF.uy

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